C'était dans l'immédiat après-guerre. Dans les années 50 et au début des années 60, la France n'ayant pas encore effacé toutes les cicatrices du dernier conflit mondial, empêtrée dans la guerre d'Indochine et confrontée aux "événements" d'Algérie, n'avait guère les moyens d'entretenir un réseau routier pourtant de plus en plus sollicité. Car l'automobile devenait alors un bien d'équipement se préparant à bondir dans les foyers : moins de 30% des ménages étaient motorisés à la fin des années 50, mais ce taux allait doubler en une décennie.
Pour offrir des surfaces de roulement à peu près correctes, la méthode est alors à la fois simple, rapide et économique. Une pulvérisation de goudron sur laquelle sont jetés des gravillons, et le tour est joué. Mauvais tour, car dès cette application, les petits cailloux volent, s'incrustent et collent (le goudron...) sous les passages de roues et les bas de caisses, sautent sur les pare-brises en verre dit de sécurité qui se désintègre en cas de choc, et viennent marbrer les carrosseries. Pire, l'efficacité de tout freinage moindrement énergique se rapproche de celle du verglas. Les carrossiers sont débordés, les protestations fusent, le scandale est dénoncé.
Vieille ambiance retrouvée
Nous sommes bien loin de cette époque, mais depuis quelques temps, le gravillon fait son retour. Avec les mêmes causes, et les mêmes effets sur le freinage et les carrosseries des autos récentes, ce d'autant plus qu'aux couches successives de "glycéro" onctueuse, s'est substituée une pellicule de synthétique à l'eau dont l'épaisseur se mesure en microns. Heureusement, comme les croissants, la matière qui compose le pare-brise d'aujourd'hui est devenue feuilletée et résiste tout en étant quand même totalement vulnérable. Mais quelqu'un répare, quelqu'un remplace...
Pour les anciennes, ce retour de la grenaille errante n'est pas une bonne nouvelle. Leur surface vitrée surplombant le tableau de bord est souvent encore dans ses matériaux d'origine, et retrouver suite à un bris le pare-brise de remplacement peut s'avérer un onéreux parcours du combattant. Les peintures sont aussi exposées, d'origine ou méticuleusement refaites. Aïe ! Quand au freinage, il retrouve son côté roulette russe d'antan.
Le recours aux gravillons est constaté dans de nombreuses régions. Et comme au bon vieux temps, signalé par des panneaux qui sont mis en place le temps que le trafic chasse vers le bas côté les grains les moins attachés et incruste les autres dans une couche proche d'une chaussée normale. Ajoutée aux ralentisseurs assassins de suspensions et amortisseurs, voire de lignes d'échappement, voici une galère supplémentaire ajoutée sur le chemin de ceux qui s'investissent pour préserver ce qui est un patrimoine culturel authentique, en termes de technique, de design, d'industrie et de style des vie. Pas merci !