Photographier n'est pas seulement vouloir montrer. C'est chercher à faire partager des sensations, des émotions, des vibrations... Ce qui ne passe pas sans quelques dépenses, largement oubliées grâce au numérique. Quand tout se mélange...!
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- KELEREPUS, 18 décembre 2024. Comme à distance, temporelle et dimensionnelle, deux artistes se rencontrent dans une telle similitude visuelle que le hasard ne peut en être l'unique organisateur. Cette histoire commence pourtant par un aspect plutôt terre à terre, celui de l'intendance. Outre-Atlantique, l'auteur de ces lignes avait, il y a déjà longtemps, eu la chance de tomber sur des recueils de clichés d'un photographe connu et reconnu, Andréas Feininger. Né au début du 20ème siècle dans le 14ème arrondissement de Paris, ce virtuose de la prise de vue a d'abord passé de longues années en Allemagne, où il s'est entre autres adonné à des "métiers de geste" -ébénisterie-. Pays qu'il a quitté pour un retour en France lors de l'arrivée d'Hitler au pouvoir, avant de fuir aux Amériques (puisque de nationalité américaine) en 1939, s'installant à New York, suite à la déclaration de guerre. C'est donc le regard autant de la découverte que celui du portait d'une ville ô combien attachante que l'on découvre dans les clichés de Chicago* pris en 1941 et s'offre à qui contemple ses images. Et pourtant, dans ce qu'il explique dans la longue préface de l'un de ses recueils, les facettes de l'intendance son survolées brièvement. Il rappelle qu'en 1941, pour seulement "un nickel" (5 cents), on peut prendre le métro de Big Apple, et qu'un numéro du New York Times vaut pas plus de 3 centimes (de dollar). Mais il renonce à s'offrir, pour 10 cents, les autobus de la légendaire 5ème avenue, ceux sillonnant les autres voies se contentant de deux fois mois. Bien que travaillant notamment pour Time, l'idée que la photographie est une activité qui coûte n'est pas occultée**. Mais comment résister à immortaliser dans la couche argentique le spectacle de la ville. Sur le cliché montré ci-dessus (détail d'une vue sous les inimitables métros aériens de la métropole de l'Illinois, le soleil et l'ombre délivrent des contrastes qui enivrent tout regard.)
Au point que ce spectacle en devient presque symbolique d'une Amérique ayant, bien avant les reste du monde, adopté l'automobile et adapté celle-ci à sa son omniprésence, sans pour autant abandonner les autres manières de se véhiculer, en particulier collectivement. C'est de cette cohabitation que surgissent ces contrastes de l'extrême, dont la séduction est contagieuse. Comme on le découvre sur le détail de cette oeuvre de l'artiste français, Alain Bertrand. Celui-ci s'est-il laissé contaminer par les photos de Feininger...? Exposée sur son stand de Rétromobile il y a quelques années, ce tableau n'est que l'infinitésimal maillon d'une oeuvre où les amoureux des US, de l'auto, des atmosphères et autres sublimités ne peuvent que se noyer, et en redemander. (Promis, nous reviendrons avec d'autres documents des mêmes auteurs sur ces thèmes -autos, villes, chemins de fer, bateaux, ciels, lumières, etc...- qui révèlent à quel point tout est lié, enchaîné...) Il ne manquerait que la musique à ce petit coup d'œil, mais comme une sorte de puce à l'oreille, ne l'entend-on pas déjà, mêlée à la gouleyante symphonie des boggies du métro mixée aux grincements de ses structures échafaudées et aux rugissements de quelques V8 en mal d'accélération...?
* Chicago, vertigineuse métropole dont l'image est bien trop souvent assimilée à celle d'Al Capone, alors qu'elle est largement plus sûre et agréable que certains quartiers de Paris. Et, selon certains avis, bien plus "américaine" que la très bouillonnante New York.
** Alors qu'il en coûtait environ 15 euros pour se doter d'un film de 36 poses à l'aube de l'an 2000, somme à laquelle il fallait ajouter le coût du développement et de l'éventuel tirage sur papier, la photo numérique, y compris sur smartphone, est devenue 100% gratuite. Certains oseront presque rétorquer que l'équipement, lui, n'est pas gratuit. Le croissant du petit déjeuner non plus.
Photos : Copyright 2020 Alain Bertrand - 1980- Andreas Freininger.