Il existe au gré des langages et de leurs évolutions des croisements et des aiguillages, véritables appareils de "voix", qui fonctionnent au mélange sans règle rigoureuse entre origines multiples et plus ou moins bonnes habitudes.
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- KELEREPUS, 14 avril 2024. Sur le quai, avant de siffler vigoureusement et de prononcer un sage "Attention au départ", l'homme à la casquette avait dit "En voiture"...! (Et pas "en wagon".) Il n'y a pas qu'à propos des chemins de fer que les mots parfois déraillent. Mais là, le pépin est patent, flirtant avec le summum du scandale aux yeux de spécialistes éclairés. Et sans grande importance, selon tous les autres. Dans une région proche de l'Atlantique, une initiative s'est récemment concrétisée, consistant à re-créer un train (fixe) destiné à être utilisé comme un restaurant. Une idée aussi sympathique que vieille comme le monde. Donc, pas loin de l'océan, du matériel ferroviaire sorti du service actif et bien restauré (c'est un indice) a été fourni par un industriel connu. Hélas, les descriptions, notamment dans quelques gazettes et médias, et comme il fallait s'y attendre, regorgent de ces "wagons" aménagés, décorés. Pas un ferroviphile ne peut résister...! "Ce sont des voitures, pas des wagons, ces derniers étant réservés aux marchandises et aux bestiaux". Comme ce bel exemplaire, ci-dessous, apte à déclencher un coup de foudre. Enfin quoi...! Rien à voir avec le croustillant conflit entre pains au chocolat et chocolatines.; mais un peu plus avec la trahison historique de ceux qui qualifient tout autorail de "Micheline"...!
Dans son excellent Larousse des Trains et des Chemins de fer, Clive Lamming, l'un des meilleurs spécialistes de ce domaine, indique d'emblée la différence, comprenez l'attribution admise entre l'humain transporté (dans une voiture) et le matériel ou animal véhiculés (dans des wagons). Sans aller jusqu'à donner d'autres indications ne serait-ce que pour apaiser les conflits entre préoccupés par le vocabulaire et obsédés du mot juste. Restons calmes, d'autant que même cette courte chronique n'apportera aucune solution définitive à ceux qui souffrent d'insomnies à cause de la torture intellectuelle que leur inflige ce terrible sujet de discorde. Car l'histoire du terme "wagon", venu du néerlandais "wagen", dont la traduction est à la fois "chariot" et... "voiture", (ça commence bien), a été comme beaucoup d'autres, soumise à des influences remontant bien au-delà de l'ère du chemin de fer. Il a même été victime, comme tout le vocabulaire, de dérives par assimilations d'idées ou de concepts. Ainsi, retrouve-t-on ce "wagon" désignant "un verre de vin de grande contenance", au cœur du 19ème siècle. Il y aurait un "hic"...?
Toutefois, les choses se compliquent. Car, portée par les bourrasques d'un vent d'Ouest ayant traversé l'océan, l'utilisation du mot faite outre-Atlantique sème un peu plus la confusion. Sur ce morceau de la planète où le chemin de fer a été non seulement un moyen de transport d'une immense utilité, comme sur le Vieux Continent, mais aussi un moyen de conquête (de l'Ouest), voici quelques nuances. N'oublions pas que l'Amérique, terre natale de Georges Pullman, fut un territoire très actif dans le développement de ce mode de locomotion. Et, surprise, il est facile de constater que nos cousins de là-bas utilisent le mot "car" (voiture, en anglais) pour... les wagons de marchandise...! À qui se fier...? Et pour ne rien arranger, la célèbre et prestigieuse CIWL, dans son intitulé et raison sociale, pousse sans ménagement le quiproquo. Puisqu'elle est bien connue sous ce résumé.: "Compagnie Internationale des Wagons-Lits" (et des grands express européens). Il suffit de voir comment l'alternance entre les deux substantifs est utilisée sans ménagement. Voici une "voiture-lits" de la... "Compagnie des wagons-lits...!" (photo ci-dessus : www. wunder-modelle-de, qui). À ce train là, les discussions animées risquent de s'éterniser. Pour sagement résumer, et au-delà des passions les plus acérées, il se pourrait bien que l'on puisse finalement utiliser l'un ou l'autre mot, au moins pour les voyageurs. Ceux qui veulent davantage débattre sur ce thème, dans lequel il y a à boire et à manger, pourraient le faire d'une agréable façon, autour d'une table dans ce restaurant sur rails, immobile, ou l'un de ses semblables, mais dont les menus suffiront sans le moindre doute, à eux seul, à vous transporter...!