
Les échos qui ont suivi la dernière édition du salon du Jouet de Nuremberg confirment la probable erreur stratégique d'une industrie et d'un commerce trop axés sur le très court terme, oubliant des thèmes "refuges" durables et de profitabilité…
- KELEREPUS, 23 avril 2019. C'est un désenchantement profond, qui dissimule à peine une inquiétude gagnant les esprits. Comme nous le relevions récemment à propos du modélisme ferroviaire (lire ou relire ici), les acteurs du monde du jouet ont doucement, et peut-être d'une manière irréversible, fait une croix sur de qui jadis constituait un prolongement naturel, durable et profitable de leur activité. Certes, il est bien beau, ce business largement axé sur les licences venues de l'univers TV-vidéo loisirs interactifs, de même que sur des créations packagées savamment pour le facing et donc pour que tournent stocks et appros. En particulier, à l'approche des fêtes, dans la continuité d'un couple marketing-com activement médiatisé. Le mécanisme est palpitant, et même gratifiant, pour les équipes d'acheteurs qui, dans d'innombrables déplacements au bout du monde (Asie principalement) vont négocier l'achat de centaines de milliers de références, en vérifier la qualité, le respect des normes, etc. Mais la suite de l'aventure se traduit par… une fin sans suite de cette aventure. D'autant plus que tout ce qui s'articule autour du segment de ces loisirs interactifs et numériques (consoles et compagnie…) a d'ores et déjà migré vers un courant d'affaires en ligne qui, pour une part importante échappe aux canaux de distribution. Lesquels, ce n'est pas une information exclusive, traversent sur tous les continents des moments très compliqués, pronostic vital engagé pour certains.
Dans ce tourbillon, des signes apparaissent, et la seule lecture des magazines spécialisés est révélatrice. "La présence du train miniature s'est encore contactée derrière les belles baies vitrées du hall dédié" regrettent dans Loco-Revue Yann Baude, rédacteur en chef, et son équipe. Plus sombre, Yann Moindrot, qui pilote la rédaction de Modèle Magazine (Editions Larivière) redoute "un clap de fin", mettant sans détour l'accent sur l'aéromodélisme qui "traverse une période de crise avec une baisse historique de ses ventes au niveau mondial". Ces commentaires viennent en ponctuation de la Spielwarrenmesse 2019, salon mondialement leader dans le secteur du jouet. L'événement, tenu du 29 janvier au 2 février dernier, fêtait ses 70 ans.

Voici une intéressante visite en vidéo de cette Spielwarrenmesse (Salon du Jouet), qui fêtait ses 70 ans cette année, et permet de faire un tour de l'offre en chemin de fer. (Source : Benny's Modelbau Kanal)
Observons que la Spielwarrenmesse ne semble en outre pas échapper aux tendances régressives observées pour de nombreux salons dans le monde. A travers ses communiqués officiels, l'audience, faite uniquement de professionnels, se contracte doucement (environ 80.000 visiteurs en 2010, 70.000 en 2016, 68.500 cette année), tributaire des stratégies observées dans de nombreux secteurs d'activités, rendant l'organisation de salons spécialisés de plus en plus aléatoire*. Sans rapport avec les stratégies décrites ici...? Si bien sûr, car outre le public quand il est admis, ce sont les visiteurs professionnels qui assurent l'équilibre économique des grandes manifestations. Des professionnels qui acceptent les investissements à condition de rencontrer des clients acheteurs, autrement dit, la distribution. Or, si la distribution qui assure (ou assurait) la diffusion de produits du modélisme laisse tomber ce créneau, la justification d'une présence pour un exposant s'érode.
Le propre de la distribution, y compris physique, est avant tout d'avoir des clients, l'idéal est ensuite de ne pas les perdre. Ces derniers ont d'autant plus de chances de venir et revenir qu'ils ont vu, voient et savent qu'ils verront des choses qui les intéressent. Dans ce sens, les points de vente que nous connaissons, et qui soulignent être à la peine, n'offrent guère de quoi donner envie à des bambins prenant de l'âge, devenant adolescents, les "teenagers"** comme les appellent les Anglo-saxons, de revenir régulièrement. Ce qui commencerait avec un peu de "démo" dans les axes auto, avion, trains et bateaux. Ce qui n'implique pas le moindre abandon des activités "jouets" d'aujourd'hui, mais permet, en revanche, de donner une visibilité attractive, appuyée sur les crêtes de trafic des périodes chaudes. En revanche, là où quelques jeunes vendeurs ou vendeuses, sachant surtout où sont alignés les packages du ventre du marché, et sortir des tickets de caisse peuvent suffire, le modélisme réclame des bons spécialistes. Et en matière de marketing, pour aller chercher des clients, les fidéliser, il y a du pain sur la planche (plus d'huile de coude que de budget, grâce aux communications numériques commodes) d'autant plus que dans la concurrence des loisirs interactifs, certaines enseignes sont très charpentées sur ce plan. Rappelons quand même qu'Albert Loridan, fondateur de l'enseigne Micromania***, avait créé seul son premier point de vente, et lancé son fer de lance et arme suprême, son marketing direct) alors que ni Internet, ni les mails, pas plus que l'univers numérique d'aujourd'hui n'existait. On n'a rien sans rien.
* Des monuments de cette activité de salons traversent des moments difficiles, quand ils ne sont pas plus simplement réduits à jeter l'éponge. En Allemagne, la très célèbre IFA (Foire de la radio de Berlin devenue celle de l'électronique) née dans les années 1920 attirait entre 700.000 et 800.000 visiteurs dans la dernière décennie du XXème siècle. Elle en revendique aux alentours de 200.000 désormais, en ayant convaincu les firmes d'électroménager d'en rejoindre les allées. Le CEBIT (Hanovre), ex-attraction mondiale des technologies de l'information, a semble-t-il renoncé, et de grosses inquiétudes subsistent quant aux chances de la Photokina (Cologne), rendez-vous mondial de la photo, de renaître dans une édition de début d'été en 2020, ce même pari ayant été manqué pour 2019. Il n'y a pas que l'Allemagne à souffrir de la désaffection des exposants pour des événements majeurs. L'automobile vit à Detroit, Cologne des revers du même genre, alors qu'à Paris, l'ex-Salon de l'Auto, qui s'était rebaptisé "Mondial", et s'octroyait, avec près de 1,5 millions de visiteurs, la première fréquentation au monde, tous types de salon confondus, a perdu plusieurs centaines de milliers de ces amateurs d'automobiles, sans doute suite aux défections de très grandes marques (et donc importants exposants). Et aujourd'hui, ce salon parisien est à vendre...!
** Teenagers en anglais fait référence aux enfant qui sont dans les âges se terminant par "teen" (thirteen-13, fourteen-14...jusqu'à nineteen, 19), en clair, sept années qui permettent à tout individu de passer du stade grand enfant à celui de jeune adulte.
*** Enseigne que son créateur a vendue ensuite au groupe LVMH, le groue américain GameStop en ayant fait depuis lacquisition.