Le cinquantenaire du premier vol du supersonique a bien occupé les médias pendant quelques heures. Retour sur l'événement, avec une vision un peu différente…
- KELEREPUS, mars 2019 – Pour Concorde, il y a les fans, et les autres. Ne cherchons pas à assombrir les moments de célébration que viennent de partager nombre de nos compatriotes. Oui, c'était un très bel avion. Oui ce fut un exercice technique méritant. Toutefois, cet aéronef, qui avait suscité au moins autant de critiques que de louanges au cours des longues années de sa gestation, reste, sous un regard pragmatique, un véritable échec industriel, celui-ci étant peut-être au moins aussi technique que commercial. La vénération un peu irrationnelle dont il bénéficie encore aujourd'hui est ce qu'il reste d'un Hexagone du confluent des années 1950-1960, où bien des réalisations semblaient surtout avoir pour objectif de nourrir pour le pays une image glorieuse aux yeux du monde, plutôt que d'engager des stratégies industrielles efficaces et profitables. Le paquebot France, ou le système de télévision en couleur SECAM sont au nombre de ces supposées réussites nées alors qu'objectivement, leur développement économique apparaissait d'emblée fort problématique.
Commercialement, contrairement aux idées reçues, le beau supersonique n'avait pourtant pas totalement manqué son but. En effet, il fut inscrit en tant que commande ferme de la part de quelques compagnies à l'époque très en vue. Si tout avait tourné comme prévu techniquement, au moins une cinquantaine d'exemplaires auraient ainsi sans doute été intégrés aux flottes de transporteurs qui, dans leur démarche, obéissaient pour une grande part à une volonté de briller. Du prestige pour des voyageurs prestigieux… Un peu comme certains consommateurs se sont offert de grosses berlines allemandes… Pour cela, il aurait donc fallu que les machines fussent prêtes en temps voulu, ce qui soudain s'est traduit par "avant que n'éclate la crise pétrolière de 73-74" laquelle, certes, n'avait été anticipée par pratiquement personne. Ces quelques dizaines de commandes, qui se sont vite annulées dès que l'or noir a vu ses tarifs virer au rouge, n'auraient peut-être pas suffi à garantir une longue vie à cet oiseau franco-britannique.
Dans cette péripétie, force est malgré tout de constater la bien piètre performance des décideurs de l'époque. Crise pétrolière ou pas, ils étaient bel et bien à côté de la plaque. Depuis plusieurs années, le sens de l'aéronautique commerciale était en effet devenu clair comme de l'eau de roche. L'avenir serait inéluctablement orienté vers le transport aérien pour tous, de masse, démocratisé. Le quasi échec commercial de la Caravelle, dont environ 280 exemplaires seulement furent vendus, n'a pas alerté les responsables, qui ne pouvaient pourtant que constater que les concurrents américains, Boeing, Douglas notamment, livraient déjà leurs 737, 727 ou DC9 comme des petits pains. Marcel Dassault rongeait son frein, voyant son Mercure (une véritable réplique au Boeing 737) mis de côté en "hauts lieux", tandis que des petits malins contestaient la pertinence du projet de l'Airbus. Cela alors qu'un signe supplémentaire apparaissait, sans toutefois faire véritablement fait bouger les esprits. En 1969, alors que Concorde décollait pour la première fois, se posait au Bourget, pour sa présentation au Salon International de l'Aéronautique et de l'Espace, le premier Boeing 747. Autant de petits détails qui laissent perplexes, et relèguent loin dans l'ordre des interrogations quelques autres sujets, comme par exemple les conditions de la certification de l'appareil, pourtant équipé de réacteurs collés par paires les uns aux autres (une disposition qui était déjà battue en brèche suite à quelques accidents) ou, plus anecdotique, mais qui écorne un peu le sérieux de certaines facettes du projet, cette version décrite sur un document remis à la presse quelques années plus tôt, d'un Concorde moyen courrier promettant Paris-Londres en 10 minutes. Un temps possible en survol, mais certainement pas pour un trajet réel, l'approche tout aéroport étant déjà supérieure à ce court instant prophétisé (discrètement quand même).